Le secteur automobile : Un état des lieux
Le secteur automobile : Un état des lieux
Cette industrie traverse une crise sans précédent. Les tensions commerciales entre l’Union Européenne, les Etats-Unis et la Chine, le ralentissement de la croissance mondiale et les normes plus restrictives anti-pollution de l’Union Européenne constituent autant de défis que le secteur automobile allemand doit surmonter. Simultanément, cette industrie doit réussir sa mutation vers l’électromobilité.
LE RALENTISSEMENT DE LA DEMANDE MONDIALE
Les constructeurs allemands subissent fortement le ralentissement de la demande mondiale en véhicules neufs. En effet les trois quarts de la production des groupes Daimler et VW sont exportés.
Cette situation rend l’industrie particulièrement sensible à la multiplication des tensions commerciales. Celles-ci opposent l’Europe aux Etats-Unis et dressent ces derniers contre la Chine. À lui seul, le marché chinois (où sont implantés les constructeurs allemands via des coentreprises imposées avec des partenaires locaux) représente 40% des ventes de Volkswagen et 30% des ventes de Daimler et BMW. Aux Etats-Unis, BMW et Daimler comptent parmi les plus gros exportateurs de véhicules destinés à la Chine. Le président de la fédération des constructeurs allemands (VDA) Bernhard Mattes rappelle que « plus de la moitié des 750 000 voitures [allemandes] produites aux Etats-Unis est destinée à l‘export ». Ces exportations sont moins compétitives en raison de l’augmentation des frais douaniers entre les deux plus grandes économies mondiales.
Le ralentissement de la demande globale et les investissements engagés dans le développement des nouvelles technologies ont entrainé en 2019 une multiplication des avertissements sur résultat des constructeurs. Daimler a notamment revu à trois reprises ses estimations de résultat 2019 depuis le début de l’année. Des annonces de programmes de réductions de coûts chez les constructeurs et les fournisseurs ont succédé à ces avertissements. La baisse d’activité s’est répercutée aussi bien sur les équipementiers majeurs du secteur que sur les fournisseurs de second rang, qui ont à leur tour abaissé leurs prévisions pour l’année 2019 : « Nous sommes bien en deçà de nos prévisions en raison du déclin des marchés de l‘automobile » reconnait Wolf-Henning Scheider, chef de l’équipementier ZF Friedrichshafen.
Qui plus est, la marge brute moyenne des sous-traitants passe sous les 7%, selon un article du Tagesspiegel (« Für Zulieferer wird es eng »), une première depuis 2012. Cette baisse pose un problème à l’heure où ces entreprises ont besoin de financer de lourds investissements.
DES INVESTISSEMENTS STRUCTURELS REQUIS CONSÉQUENTS
Pour maintenir leur compétitivité dans le respect des nouvelles normes anti-pollution définies par l’Union Européenne et pour électrifier leur gamme, les constructeurs doivent lourdement investir. Toutefois, ils doivent parallèlement s’acquitter d´amendes conséquentes en Allemagne, qui font notamment suite aux plaintes groupées de consommateurs dans l’affaire de manipulation des émissions de moteurs diesel. Ainsi, le groupe Volkswagen a dû s´acquitter de plus de 30 milliards d‘euros en amendes, frais juridiques et dédommagements de clients à l‘entreprise. Daimler, Bosch et Porsche se sont vu infliger près d’un milliard et demi d’euros d’amende par le tribunal de Stuttgart et Audi 800 millions d’euros par le parquet de Munich au cours de l’année 2019.
Les constructeurs ont pris du retard dans la transformation vers les nouvelles technologies de propulsion, leurs appareils de production sont encore largement tributaires de la technologie diesel. Chez Bosch, 50 000 postes dépendent de cette technologie sur les 410 000 que compte le groupe dans le monde. Pour pouvoir accélérer leur mutation et afin que les objectifs de réduction d’émissions de CO2 ordonnés par l‘Union Européenne puissent être atteints, les constructeurs souhaitent obtenir une aide de l’Etat fédéral allemand.
Les objectifs de réduction d’émissions de CO2 ordonnés par l‘Union Européenne signifient que d’ici 2030 sept millions des voitures du parc automobile allemand devront être électriques, et cela malgré la lente progression des ventes de véhicules électrique en Europe. Pour faciliter la transition vers des véhicules à propulsion alternatives, les constructeurs devraient donc exiger des primes à l‘achat et des allégements fiscaux de l‘ordre de plusieurs milliards d’euros. Selon Jochen Strenkert, ingénieur chez Daimler Daimler, le constructeur se fixe un objectif d’ici 2025 de « 15 à 25% des voitures vendues à propulsion électrique ». Il rappelle que l’atteinte de cet objectif dépend non seulement « de l‘acceptation des clients pour les nouveaux types de propulsion et les prix, mais également de l‘expansion de l‘infrastructure de bornes de recharge dans le territoire national ».
De nombreux industriels demandent un changement holistique de la politique afin d’accélérer l’adoption des véhicules électriques. Le gouvernement chinois, soucieux de construire des avantages comparatifs a subventionné l’achat de ces voitures et la construction de points de recharges. Aujourd’hui la Chine compte 2,6 millions de véhicules hybrides et électriques alors que l’Allemagne en recense 140 000. La Chine a plus de 1,1 million de chargeurs publiques (plus de 4 millions dès 2020) alors que l’Allemagne en compte environ 16 000. L’industrie automobile allemande risque d’être supplantée si elle ne parvient pas à entraîner un tel dynamisme. La tâche est d’autant plus dure que l’Empire du Milieu dispose déjà d’un réseau dense de fabricants d’électronique.
LE DÉVELOPPEMENT DES TECHNOLOGIES DE PROPULSION ALTERNATIVES
Le marché pousse les constructeurs à investir massivement dans la mobilité électrique, particulièrement dans la recherche et la fabrication des batteries. Les dernières tendances montrent que les ventes de voiture électriques prennent le pas sur les voitures hybrides en Europe. Pourtant, aussi bien BMW que Daimler semblent vouloir simultanément développer les véhicules à hydrogène et les véhicules électriques. Même si l’acquisition par les particuliers en dehors des grandes villes reste à ce jour problématique en raison du nombre très faible de stations de recharge en service et que cela implique des investissements dans les infrastructures de recharges à la fois pour véhicules électrique et hydrogène, les deux constructeurs croient au développement de ce système alternatif de propulsion sur le long-terme : « Nous serons en mesure d’offrir à nos clients tous les types de propulsion pertinents » a confirmé le directeur général de BMW, Oliver Zipse, lors du salon automobile IAA de Francfort en septembre dernier. Au contraire, Herbert Diess, chef de Volkswagen, ne croit pas au développement des véhicules à hydrogène et a déclaré sur le salon de Francfort qu’il considère les véhicules à hydrogène comme un « non-sens » en raison des émissions de CO2 résultantes lors de la production d’hydrogène.
Dans ce sens, Volkswagen a annoncé en septembre 2019 à l’occasion de la création d’une joint-venture avec le fabricant de batterie suédois Northvolt un investissement de 900 millions d’euros dans son usine de Salzgitter. Cette nouvelle fait suite à la participation de BMW dans Northvolt. Le début de fabrication des batteries lithium-ion sur ce site est prévu pour fin 2023 et marque l’ambition de Volkswagen dans le tout électrique.
Face à une grande incertitude quant à l’avenir, beaucoup de sous-traitants cherchent à se diversifier. Maintenir une offre large est pour certain l’assurance de pouvoir répondre à une demande incertaine.
Dans le digital, une initiative a été marquée par la création mutuelle par BMW et Daimler de FreeNow (anciennement My- Taxi), plateforme incluant un service de taxis et de partage de voitures Share Now (anciennement Car2Go (Daimler) et Drive- Now (BMW)), un service de VTC et de trottinettes qui a vocation de contrer des plateformes comme Uber et Lyft. Cet exemple illustre la tentative des constructeurs de garder leur relation directe avec la clientèle.
L’ÉLECTROMOBILITÉ, VECTEUR DE DESTRUCTION D’EMPLOI
Une étude de l‘institut Fraunhofer pour le Travail et l‘Organisation (IAO) confirme que l’électrification du secteur automobile, notamment portée par les objectifs CO2 fixés par l‘Union Européenne, pourrait conduire à d‘importantes suppressions d‘emplois au sein de l‘industrie automobile allemande. Pour l’instant, celle-ci emploie directement plus de 800 000 personnes et indirectement 1 800 000. Cette étude pointe notamment la disparition potentielle de 35% de postes chez les constructeurs automobiles et de 44% des postes chez les équipementiers tout en prenant compte la création de nouveaux emplois dans les domaines des batteries et des composants électroniques. Une seconde étude du Centre Automotive Research (CAR) de l‘Université de Duisburg-Essen estime que 234 000 emplois dans la production et le développement de technologies pour les moteurs à combustion interne pourraient devenir superflus pour les constructeurs et les fournisseurs automobiles d’ici 2030. Seuls environ 109 000 nouveaux emplois seraient en contrepartie créés dans le développement et la production de pièces pour moteurs électriques.
Étant donné le nombre inférieur de pièces requis pour assembler un moteur électrique vis-à-vis d’un moteur à combustion interne, il en résulte un nombre inférieur d’emplois dans l’électromobilité et des suppressions éventuelles de postes. D’ici à 2030 il est estimé que les ventes des sous-traitants liées au moteur à explosion baisseront d’un tiers. Le fabricant historique de pistons Mahle, chez qui la transformation vers la fabrication de systèmes de refroidissement pour batterie est en marche, a annoncé en mai 2019 la suppression de 380 postes à son siège de Stuttgart. Volkswagen évalue à 23 000, le nombre de postes menacés de disparaitre à terme dans les unités de production, en partie compensées par la création de 9 000 postes dans le logiciel et le digital pour accompagner le développement de la voiture électrique et autonome.
Les nouveaux débouchés dans le logiciel et le digital ne combleront toutefois pas les suppressions de postes dans la production.
LE SOUTIEN AFFIRMÉ DE L’ETAT FÉDÉRAL ET DES RÉGIONS
Le gouvernement fédéral et les premiers ministres de la Bavière (BMW), du Bade-Wurtemberg (Daimler) et de la Basse-Saxe (VW), où se trouvent en particulier de nombreuses entreprises du secteur automobile, ont exprimé leur souhait de soutenir le secteur en « accompagnant activement son processus de transformation », a déclaré le Premier Ministre de la Bavière, Markus Söder (CSU). Ces régions travaillent activement sur des projets d‘aide à l‘industrie dans la recherche et le développement dans le domaine de l‘électromobilité, conscientes qu’il y a « des dizaines de milliers d‘emplois en jeu » souligne Markus Söder. Dans le Bade-Wurtemberg, coeur du secteur automobile allemand, où près de 500 000 emplois dépendent de l’industrie automobile, il est question selon la ministre de l’économie du Land Nicole Hoffmeister-Kraut « d’assurer l’emploi et la création de valeur ajouté dans un contexte de concurrence avec les Etats-Unis et la Chine ». Les autorités locales se veulent cependant rassurantes dans la capacité du secteur à se transformer. Dietmar Schöning (FDP), Nicole Hoffmeister-Kraut (CDU) et Roman Zitzselsberger (Président du syndicat IG-Metall dans le Bade-Wurtemberg) rappellent que le Bade-Wurtemberg dispose « d’un savoir-faire historique dans la construction de machines et d‘installations, d’une infrastructure de recherche exceptionnelle pour la technologie de production et l‘ingénierie automobile, de grands constructeurs et de nombreux fournisseurs spécialisés ». De quoi permettre au secteur automobile allemand de réussir sa transformation dans le développement de la voiture électrique connectée et autonome face à la concurrence américaine et chinoise ?
Auteur : Valery Frappier