Cette initiative suscite déjà de vives réactions au sein des milieux économiques de tous bords et attire l’attention de l’étranger. Bien que la votation sur cette initiative, qui a abouti en mars 2024, ne soit pas imminente, il est intéressant de se pencher sur ses objectifs et les conséquences potentielles qu’elle pourrait entraîner.
Que contient l’initiative « Pour une politique climatique sociale financée de manière juste fiscalement » ?
L’initiative propose d’introduire au niveau fédéral un impôt sur les successions et donations de plus de CHF 50 millions à un taux de 50%. À ce jour, il n’y a pas d’impôt de cette sorte au niveau fédéral. Seuls les cantons (à quelques exceptions près) le prélèvent. Cette initiative n’a pas pour but de remplacer le système actuel, mais d’ajouter un impôt supplémentaire au niveau fédéral.
Les recettes fiscales générées seraient spécifiquement allouées à des projets de transformation écologique de l’ensemble de l’économie et du système social.
Contrairement à certaines interprétations, le texte de l’initiative ne prévoit aucune exclusion spécifique, mais uniquement une franchise de CHF 50 millions applicable à l’ensemble de la fortune d’un contribuable, indépendamment de sa distribution ou de sa composition. De même, aucune distinction n’est faite quant aux bénéficiaires. Il s’agit donc d’une franchise unique qui, une fois dépassée, déclenche l’imposition de l’excédent au taux de 50%.
Cette nouvelle règle, relativement simple sur le principe, entrerait en vigueur dès le lendemain de la votation si elle est acceptée. En d’autres termes, même si le projet de loi devait mettre ensuite plusieurs années à être mis en place, il aurait un effet rétroactif sur les donations et successions à partir de la date de la votation.
L’initiative pourrait concerner environ 3 000 contribuables en Suisse bien qu’il n’existe pas de statistiques précises à ce sujet.
Quelles conséquences potentielles pour les entreprises, les entrepreneurs et leur famille ?
Comme évoqué, l’initiative ne fait aucune distinction quant à la composition de la fortune imposable ou à ses bénéficiaires. Que la fortune soit principalement constituée de l’entreprise familiale ou d’un portefeuille de titres étrangers, le principe reste strictement le même.
Pour les contribuables qui détiennent donc comme « actif » principal une entreprise, le paiement de ce nouvel impôt pourrait avoir des conséquences significatives. En effet, cette initiative se cumule à l’impôt existant. Dans des cas extrêmes et en fonction des cantons, l’impôt pourrait friser 100% de la fortune transmise. Sans entrer dans le détail d’un tel cas de figure, le financement de l’impôt lorsque la fortune est immobilisée, typiquement dans le cas d’une entreprise, entraînerait très probablement la question de devoir vendre tout ou partie de l’actif en question.
Évidemment, on peut penser que CHF 50 millions représente une somme considérable et ne devrait donc concerner qu’une partie limitée des entrepreneurs suisses. Néanmoins, il convient de relever deux éléments principaux à ce sujet :
- Tout d’abord, pour les entrepreneurs concernés, il est crucial de déterminer dans quelle mesure cette fortune reflète une « véritable » fortune. En effet, les entreprises détenues en majorité par des familles sont souvent peu liquides. Certes, elles peuvent valoir beaucoup, mais cette valeur n’est que théorique et n’a souvent pas vocation à être réalisée, mais plutôt à être transmise de génération en génération.
- Ensuite, les sociétés concernées sont généralement de celles qui emploient un grand nombre de personnes ou qui jouissent d’une certaine notoriété. Le paiement de l’impôt pourrait avoir des conséquences significatives non seulement pour les héritiers des entrepreneurs, mais aussi pour l’entreprise elle-même, voir l’ensemble des employés de ces entreprises. En effet, si la seule option est de vendre la société pour financer l’impôt, cela pourrait entraîner des restructurations ou même des suppressions de postes, selon la nature de l’acquéreur.
Faut-il déménager ?
L’initiative prévoit son entrée en vigueur à la date de son acception. Ce type d’effet rétroactif est peu courant en Suisse. La question de savoir s’il faut prendre des mesures en amont peut donc se poser. Néanmoins, il est bon de rappeler que cet impôt frappe les donations et les successions lorsqu’elles se réalisent. En l’absence d’une donation ou du décès du contribuable durant la période transitoire, l’effet rétroactif n’aura aucun effet. Rien n’empêche donc de laisser venir la votation et de décider ensuite, en fonction du résultat, si un déménagement à l’étranger ou toute autre mesure doit être envisagé ou pas.
Conclusion
En conclusion, bien que l’initiative ait des objectifs louables en matière de transformation écologique et sociale, il est crucial de considérer l’effet domino potentiel sur les entreprises, les entrepreneurs, leurs familles ainsi que sur les emplois. Même si le montant de CHF 50 millions peut sembler élevé et cibler les « super-riches », n’oublions pas que la véritable richesse de notre pays réside dans ses entreprises. Voir certaines d’entre elles vendues dans la précipitation pour payer l’impôt des héritiers pourrait s’avérer un pari risqué. Affaire à suivre…