L’Allemagne, l’homme vieillissant de l’Europe ?

La question démographique est un enjeu crucial pour l’avenir de l’économie allemande. Le manque de main d’œuvre est déjà aujourd’hui un frein dans la croissance, puisque environ 2 millions de postes ne sont pas occupés dans les entreprises allemandes. De plus, la charge financière du système de retraite devrait augmenter sensiblement au cours des prochaines années. Ainsi, aux environs de 2040, le ratio de personnes de plus de 65 ans pour les actifs de 20 à 64 ans devrait être de 2 (contre 3 actuellement).

Certes, l’immigration est un pourvoyeur de main d’œuvre. Mais les travailleurs qualifiés issus de l’immigration se font rares, et ce dans un contexte de compétition entre pays développés pour attirer cette main d’œuvre. Mais surtout, les chiffres élevés de l’immigration au cours de ces dernières années ont fait monter en puissance inexorablement l’extrême droite qui a réuni plus de 15% des suffrages lors des dernières élections régionales de Hesse et de Bavière, deux régions de l’Allemagne de l’ouest comptant plus d’un quart de la population allemande. La coalition gouvernementale s’est engagée à réduire le nombre de demandeurs d’asile afin d’entraver la montée du vote radical et ainsi traiter le sujet de l’immigration et des réfugiés que 44% des Allemands considèrent comme le problème le plus important, devant le changement climatique (18%), les injustices sociales (13%) et l’économie (11%).

Entre les bouleversements géopolitiques (et ses conséquences sur les politiques d’immigration, d’industrie et de défense), la crise énergétique, la révolution climatique, beaucoup de fondamentaux de l’économie allemande sont actuellement remis en question. L’avenir de l’industrie automobile illustre ces évolutions. Les constructeurs automobiles allemands ont confirmé récemment leur objectif de livrer d’ici à 2030 plus de 15 millions de voitures électriques. Mais la « démocratisation » de la mobilité électrique, pour reprendre une expression employée par Volkswagen, pourrait conduire à voir le marché allemand être dominé par des voitures non allemandes. Et quant à la numérisation des voitures, l’autonomisation de la conduite est encore loin d’être présente sur les routes allemandes.

L’innovation reste ainsi un sujet clé pour l’économie allemande. Non seulement pour rester à la pointe des nouveautés mais aussi pour s’affranchir des besoins de main d’œuvre qui vont augmenter sensiblement avec le départ à la retraite de la génération née autour des années 60. Or, comme l’immigration ne peut être la porte de salut, l’Allemagne se doit de remplacer ces heures de travail perdues par une productivité accrue, grâce à une automatisation et une numérisation croissante de l’économie et un recours massif à l’intelligence artificielle.

Le rapport du Conseil des sages remis au gouvernement allemand au début de ce mois de novembre a mis le doigt sur l’évolution de la démographie allemande pour réclamer des réformes de structure. « L’Allemagne est l’homme vieillissant de l’Europe » a dit Monika Schnitzer, présidente du conseil des experts, en présentant les principales thèses du rapport. A défaut de redevenir l’homme malade de l’Europe, l’Allemagne est tenue d’actionner les différents leviers de productivité qui sont à sa disposition. Certains sont très contestés comme la proposition de corréler l’âge de départ à la retraite à l’évolution de l’espérance de vie. D’autres semblent plus intuitifs, mais doivent être activés rapidement afin de pouvoir récolter les fruits au cours des prochaines années voire décennies : cela concerne notamment l’investissement dans la formation. Que ce se soit les bâtiments des écoles dont le besoin de rénovation est estimé à 48 milliards par les communes allemandes, ou le manque d’instituteurs et professeurs qualifiés (dans certaines écoles, plus de 50% des instituteurs n’ont pas suivi la formation d’origine), les besoins sont énormes. De même, les crèches allemandes souffrent également d’un manque de personnel qualifié, estimé à 450.000, notamment pour s’occuper des enfants de moins de 3 ans. Or, l’allongement de la durée de travail des femmes est un enjeu important pour l’économie allemande – cela ne peut aller de pair qu’avec de meilleures possibilités de confier ses enfants aux crèches. Et les jeunes générations devront être mieux formées que les précédentes, afin de pouvoir mieux répondre au défi de l’innovation. D’où l’importance de toutes ces mesures en amont et destinées à faire fructifier au mieux le capital humain dont dispose l’Allemagne.

L’innovation est aussi destinée à jouer un rôle important dans le cadre de la transition climatique, sans oublier que la dépendance énergétique allemande envers la Russie a remis en question de nombreuses certitudes. Tout cela coûte beaucoup, et suppose d’accompagner les entreprises dans leur transition afin que le moteur économique de l’Allemagne ne toussote pas trop et surtout pas trop longtemps. Car la force de l’Allemagne est de disposer d’un outil de production encore très intégré. C’est une force pour l’Allemagne mais aussi pour l’Europe.

Une Allemagne vieillissante et/ou malade n’est pas une bonne nouvelle pour l’Europe et en particulier pour la France. Dans de nombreux domaines, les questions soulevées sont communes et apportent des réponses concertées. C’est dans ce sens que le sommet franco-allemand de Hambourg au début du mois d’octobre s’est tenu. De nombreux sujets structurels ont été abordés. Ainsi, France et Allemagne se sont penchées sur la question de savoir comment promouvoir et faire progresser la souveraineté de l'Europe en matière de technologie. Un accent particulier a été mis sur le domaine de l'intelligence artificielle pour lequel France et Allemagne veulent faire avancer la coopération. De même, le président français et le chancelier allemand ont eu un échange intensif sur les questions énergétiques: « Nous nous sommes également penchés sur la question de savoir comment faire converger les systèmes énergétiques en Europe de manière à ce que nous puissions générer de bonnes impulsions de croissance et favoriser une baisse des prix de l'électricité. Là aussi, nous sommes en train de développer des solutions communes de manière très intensive et très constructive », a indiqué M. Scholz.

Le soutien à l’Ukraine reste également une priorité, l’Allemagne a d’ailleurs annoncé récemment augmenter son aide de 4 à 8 milliards pour 2024. Dans le domaine de l'immigration, il existe également une coopération très étroite entre la France et l'Allemagne. Espérons que tout cela permette aussi d’engager rapidement des réformes de structure car dans de nombreux domaines, comme celui de la Défense, les situations actuelles exigent des temps de réaction et de décision dans la coopération franco-allemande beaucoup plus rapides.

L’Allemagne s’interroge. Ses habitants s’interrogent, ses partis politiques, ses chefs d’entreprises, ses économistes, ses voisins aussi. Les défis auxquels fait face l’Allemagne appellent des réponses fortes, à court et à long terme, et des réponses européennes, ou du moins franco-allemandes. Il y a urgence dans de nombreux domaines, car les élections de 2024 en Europe mais aussi aux Etats-Unis pourraient réduire certaines marges de manœuvre. La fragmentation du paysage politique allemand ne facilite pas non plus les choses. A nous toutes et nous tous de nous impliquer pour défendre les valeurs qui ont fait l’Europe et aussi de veiller à ce que les besoins de nos concitoyennes et concitoyens soient pris en considération – en particulier, la valeur de la cohésion sociale est sans doute celle qui est la plus à préserver et qui doit donc dominer les réflexions des décideurs publics et privés.

Rédacteur : Pierre Zapp

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