Un sujet fiscal : Contrôles fiscaux et comptabilisation des subventions

Nous présentons dans cet article les possibilités qui s’offrent à un équipementier automobile pour étaler fiscalement sur plusieurs exercices les revenus d´une subvention versée par un constructeur automobile pour la production de pièces en série pour un nouveau véhicule.

1. Remarques liminaires

Suite à la nomination d’un équipementier par un constructeur automobile pour la production de pièces en série pour un nouveau véhicule, l’équipementier doit supporter des frais de développement importants (études et outillages) pour la mise en place de la nouvelle ligne de production. L’utilisation de ces lignes de production dans un autre but ou pour d’autres clients est en général contractuellement limitée voire interdite. Dans la mesure où le constructeur automobile ne participe pas aux frais d’études et d’outillage spécifiques de ces lignes de production, l’équipementier se voit obligé d’inclure ces coûts dans le prix de vente des pièces. Le prix de vente devrait inclure une rémunération du risque, qui est élevé étant donné que l’équipementier n’a aucune influence sur les volumes de production et ne dispose que d’un seul client – le constructeur.

Il est fréquent en pratique que le constructeur automobile verse une « subvention » à son équipementier pour financer une partie des frais de développement relatifs aux nouvelles lignes de production. Le risque supporté par l’équipementier est ainsi réduit.

La comptabilisation des subventions relatives aux frais de développement (outillage et études), que peuvent allouer les constructeurs automobiles à leurs équipementiers dans ce contexte est régulièrement passée au peigne fin par l’administration fiscale allemande dans le cadre de contrôles fiscaux.

D’un de point de vue comptable, la subvention augmente les revenus de l’équipementier l’année du versement, ce qui de facto augmente l’assiette fiscale de l’impôt sur les sociétés. Afin de mieux refléter la réalité économique dans le bilan comptable (« Handelsbilanz »), le Code de commerce allemand (« Handelsgesetzbuch, HGB ») autorise plusieurs mécanismes permettant de répartir ce revenu sur la durée d’utilisation de l’outillage spécifique. En effet, les contrats avec les constructeurs prévoient dans la pratique des dates fixes pour cette durée (SOP, Start of Production / EOP, End of Production). La constatation d’une provision pour charges, qui sera reprise sur plusieurs exercices ou encore la comptabilisation d’un produit constaté d’avance permettent d’étaler le profit provenant de la subvention.

Bien que le Code général des impôts allemand (« Einkommensteuergesetz ») prévoie un traitement comparable afin que la provision ou le produit constaté d’avance soient reconnus fiscalement, l’administration fiscale impose une interprétation beaucoup plus restrictive de ces textes.

Nous présentons dans les lignes qui suivent les possibilités qui s’offrent à l’équipementier pour étaler fiscalement les revenus de la subvention sur plusieurs exercices. Celles-ci diffèrent néanmoins si l’équipementier reste propriétaire des outillages spécifiques ou s’il les cède au constructeur automobile.

2. Comptabilisation des subventions relatives aux frais de développement et outillages spécifiques versées par le constructeur automobile qui restent la propriété de l’équipementier

Deux traitements sont envisageables pour répartir sur plusieurs exercices l’augmentation de revenus provenant de la subvention du constructeur correspondant à des postes au passif.

Constitution d’une « Provision pour charges »

Selon le code de commerce allemand (HGB § 249 Abs. 1), une provision pour charges est à enregistrer au bilan lorsqu’à la clôture de l’exercice, une dette existe de manière certaine mais son montant ou son échéance sont incertains. Les règles fiscales pour la comptabilisation de provisions sont presque identiques (EStG § 5 Abs. 1).

Pour l’équipementier automobile, cette obligation peut prendre la forme d’un engagement à livrer les pièces au constructeur automobile à un prix réduit car déduisant au prorata la subvention versée préalablement. L’obligation est donc incertaine dans son montant du fait de l’absence d’information quant au volume de production imposé par le constructeur automobile. Les conditions à la comptabilisation d’une provision sont à priori remplies.

Néanmoins, la Cour fédérale des finances (« Bundesfinanzhof ») conditionne la reconnaissance d’une provision au bilan fiscal à la mise à disposition de l’administration fiscale par l’équipementier, du calcul détaillé du prix de revient des pièces (incluant la subvention d’équipement).

L’obligation de l’équipementier envers le constructeur peut être négociée contractuellement ou résulter d’usages professionnels (on parle d’obligation « factuelle »). Une obligation « factuelle » sousentend que l’équipementier ne peut se soustraire d’un tel usage sans subir de sévères dommages économiques. La documentation imposée par l’administration fiscale pour la constatation d’une telle provision, doit décrire explicitement l’existence de l’obligation de livrer les pièces à prix réduit (ainsi que sa pertinence économique) à la clôture de l’exercice, que celleci soit contractuelle ou factuelle. La réduction de prix par pièce doit être quantifiée. Si tel n’est pas le cas, le contrôle fiscal pourrait en effet considérer que le lien économique entre le versement de la subvention et la réduction du prix est trop éloigné.

La reprise de la provision pour charges s’effectue sur la durée de production de la série (SOP jusqu’à EOP). Le montant de la subvention versée ainsi que le volume de production total planifié permettent de calculer la part de subvention par pièce, qui elle-même sert de base à la reprise de provision pour chaque exercice (le montant de la reprise est égal à la part de subvention par pièce multipliée par le nombre de pièces produit au cours de l’exercice). Par ce mécanisme, le produit engendré par le versement de la subvention est réparti sur la durée de production. Dans le cas d’une variation du plan de production (ex. baisse des volumes imposés par le constructeur voire EOP anticipée), il convient de constater une reprise exceptionnelle de la provision.

Au bilan du constructeur automobile, la subvention versée est présentée en immobilisation incorporelle. En effet celle-ci peut être assimilée aux coûts d’acquisition d’un droit d’utilisation. L’amortissement se fera également en fonction des volumes de production.

Constitution d’un « Produit constaté d’avance »

La comptabilisation d’un produit constaté d’avance (PCA) nécessite l’encaissement de la subvention pour des livraisons à réaliser lors d’exercices suivants. Les conditions pour comptabiliser un PCA sont les mêmes selon le Code de commerce allemand et le Code général des impôts allemand (EStG § 5 Abs. 5 et HGB § 250) et répondent au principe de rattachement des produits et des charges à l’exercice de leur exécution.

Pour l’équipementier, le flux de trésorerie doit avoir lieu avant la clôture de l’exercice mais représenter une obligation postérieure à la clôture de ce même exercice et de fait, jusqu’à la date de l’EOP. Via l’enregistrement d’un produit constaté d’avance, le produit issu de la subvention est réparti sur plusieurs exercices comptables durant lesquels la nouvelle ligne de production est dépréciée et amortie. Le produit n’impacte l’assiette fiscale de l’impôt sur les sociétés que dans l’exercice de sa reprise. La reprise intervient au moment de la réalisation de l’obligation (livraison de pièces).

A la différence de la provision pour charges, l’obligation doit être « temporelle », c’est-à-dire se rattacher à une période donnée (et non quantitative comme dans le cas précédent). Une obligation « temporelle » pour l’équipementier peut par exemple consister en la préservation de capacité de production ou la garantie de livraison de pièces à des dates prédéfinies. Le produit constaté d’avance sera à reprendre sur toute la pé-riode où l’obligation existe, c’est-à-dire jusqu’à la date d’EOP.

Avances et acomptes reçus sur commande

Si le calcul du prix par pièce n’inclut pas la subvention d’équipement et que celle-ci est simplement déduite postérieurement des dettes du constructeur, il s’agit d’un acompte reçu sur commande. Dans ce cas, un passif est à enregistrer dans les comptes de tiers au bilan de l’équipementier. Ici aussi, il n’y a pas de différence majeure entre le bilan commercial et fiscal (EStG § 5 Abs. 1, HGB § 266 Abs. 3).

3. Comptabilisation des subventions des frais de développement et outillages spécifiques versés par le constructeur automobile, qui en devient le propriétaire

Bien que l’utilisation par l’équipementier couvre la durée de  vie complète de l’immobilisation, il est assez fréquent que le constructeur automobile devienne juridiquement propriétaire des outillages spécifiques, ou que ceux-ci lui soient transférés après l’EOP. Ce constitut possessoire, ex. prêt, autorise le constructeur à réclamer le retour de l’actif immobilisé en cas d’insolvabilité de l’équipementier afin d’empêcher le transfert  à des créanciers tiers.

Dans ce cas de figure, les conditions de comptabilisation de la subvention relatives aux frais de développement et d’outillages spécifiques diffèrent.

Constitution d’une « Provision pour charges » ou de « Produits constatés d’avance »

Si la propriété des frais de développement et outillages spécifiques est transférée au constructeur, la subvention représente, d’après la Cour fédérale des finances (« Bundesfinanzhof ») et l’administration fiscale, la contrepartie monétaire préalable pour la fabrication et transfert de la ligne de production.

Les équipementiers argumentent que la constatation d’une provision pour charges est nécessaire car le versement de  cette subvention par le constructeur les oblige à accorder postérieurement une diminution du prix de vente des pièces à ce dernier. L’administration fiscale rejette cet argumentaire en stipulant que les subventions qui couvrent les coûts de  fabrication des frais de développement et des outillages spécifiques ne peuvent pas en parallèle diminuer le prix de vente des pièces. L’obligation pour l’équipementier de fournir, sur la base du montant de la subvention, les pièces à un prix de cession minoré ne suffit pas à qualifier la subvention comme acompte reçu pour la livraison de pièces.

Il est en somme très difficile de démontrer que les conditions nécessaires à la comptabilisation d’une provision pour charges ou d’un produit constaté d’avance sont remplies si la propriété des frais de développement et des outillages spécifiques est transférée au constructeur. La comptabilisation d’un tel passif n’est envisageable fiscalement que pour la part de la subvention qui excède les coûts de fabrication de la ligne, majorés d’une marge qui reflète les conditions du marché. Le lien économique entre cette part excédentaire de la subvention et l’obligation de fournir des pièces à prix réduit ou l’obligation temporelle de l’équipementier doit être impérativement démontré.

Créance envers le constructeur dès lors que la subvention est inférieure aux coûts de développement et de fabrication des outillages spécifiques transférés

Si le montant de la subvention d’équipement est inférieur aux coûts de développement et de fabrication des outillages spécifiques, l’équipementier est susceptible de subir une perte lors du transfert de propriété de la ligne au constructeur. Si le constructeur s’engage à payer cette différence via une augmentation du prix de vente futur des pièces, l’équipementier acquiert une créance vis-à-vis du constructeur lors du transfert de propriété.

Comptablement et fiscalement cette créance est à inscrire à l’actif du bilan de l’équipementier. Le montant de cette créance correspond à la différence existante entre le montant de la subvention pour frais de développement et les coûts de fabrication de la nouvelle ligne de production. Cette créance est éteinte par le paiement d’un prix de vente plus élevé sur toute la période de production.

Cette approche suppose toutefois que l’augmentation du prix des pièces soit mise en relation de façon claire et compréhensible avec les coûts de développement et de fabrication des outillages spécifiques non couverts par la subvention. Ici  aussi, la documentation correspondante doit pouvoir être mise à disposition de l’administration lors d’un contrôle ultérieur.

Une exigence supplémentaire nécessaire à la comptabilisation d’une créance, est que l’équipementier dispose du droit au recouvrement de cette créance, même dans le cas d’une EOP anticipée ou d’une réduction des volumes de production imposée par le constructeur. La comptabilisation de la créance ne peut avoir lieu dans le cas contraire et la perte engendrée pour l’équipementier au moment du transfert sera à comptabiliser et réduira inévitablement l’assiette fiscale. 

4. Dépréciation des encours de production des coûts de développements et outillages spécifiques à la date de clôture

Conformément au Code de commerce allemand, si la propriété des coûts de développements et outillages spécifiques est destinée à être transférée au constructeur et que la fabrication de ceux-ci n’est pas achevée à la date de clôture, les coûts des études et de fabrication des outillages spécifiques déjà engagés sont à enregistrer en stocks, à savoir au compte « En cours de production » (HGB § 266 Abs. 2). S’il peut être identifié de manière fiable à l’aide de critères objectifs, que les avantages économiques futurs attendus de l’actif sont inférieurs aux coûts de production, une dépréciation de l’actif est à comptabiliser.

L’administration fiscale voit ces dépréciations d’un œil critique et soutient que les équipementiers essaieraient souvent de compenser les pertes provenant de la cession des coûts de développement et outillages spécifiques au constructeur avec les revenus provenant de la production de pièces en série. Ceci permettrait à l’équipementier de réduire son assiette fiscale. A ce sujet, l’administration fiscale fait référence à un arrêt de jurisprudence de la Cour fédérale des finances (« Bundesfinanzhof »), qui stipule que la dépréciation d’un encours de production (ou produit semi-fini) n’est pas permise si le prix de vente final est volontairement calculé en dessous des coûts de production. De plus, l’encours de production ne peut pas, selon le Code de commerce allemand, être évalué à un montant inférieur aux coûts de production. Cet arrêt est du moins appliqué si l’entreprise en question est profitable. L’administration fiscale soutient que sa position, relative à ces dépréciations, n’enfreint pas le principe d’évaluation individuelle des actifs (« Einzelbewertung »), et réfère à la jurisprudence correspondante (Décision du Sénat du 23.06.1997 – « Beschluss des Großen Senats vom 23.06.1997 »).

La position de la Cour fédérale des finances (« Bundesfinanzhof ») est vivement controversée : la prise en compte d’avantages économiques futurs indirects dans l’évaluation de l’actif circulant serait contraire au principe de prudence, en plus d’être discutable du point de vue de l’obligation d’évaluation individuelle des actifs. Le principe de non compensation ne serait plus que respecté au sens strict, vue que l’approche de la Cour solde des pertes avec des avantages économiques futurs indirects. Il serait plus approprié de ne prendre en compte que les avantages économiques directement attribuables à l’actif en question. Il convient de noter que le Ministère fédéral des finances (« Bundesministerium für Finanzen ») ne s’est pas encore exprimé officiellement sur ce point.

En somme, la Cour fédérale des finances (« Bundesfinanzhof ») comme l’administration fiscale n’admet la dépréciation des encours de fabrication des coûts de développements et outillages spécifiques, que s’il est avéré à la date de clôture, que les revenus provenant de la production des pièces ne compenseront pas les pertes liées au transfert de propriété de l’outil de production.

Notons que dans le cas des dépréciations des encours de production, l’administration fiscale fait le postulat, qu’un lien économique fort existe entre la vente et fabrication de l’outil de production et la production de pièces en série elle-même, abstraction faite de l’existence d’une obligation contractuelle ou factuelle liant ces deux opérations. Ce n’est pas le cas pour les subventions des frais de développement et outillages. Cette approche est très critiquée dans la mesure où les équipementiers peuvent dans certains cas démontrer que les pertes provenant du transfert de propriété des coûts de développements et outillages spécifiques n’étaient pas planifiées et encore moins incluses dans le calcul du prix de vente futur des pièces.

5. Conclusion

Dans l’industrie automobile, il est fréquent pour les constructeurs de verser une subvention à l’équipementier nominé pour la production d’un nouveau véhicule, afin de participer aux frais de développement (études et outillage) de la future ligne de production. Ce flux de trésorerie important, qui permet à l’équipementier de réduire son exposition au risque, augmente de façon sensible l’assiette fiscale de l’équipementier au cours de l’exercice de son versement. C’est pourquoi l’équipementier essaiera à l’aide de mécanismes comptables d’étaler ce produit sur plusieurs exercices et limiter ainsi l’augmentation brutale de l’assiette fiscale dans cet exercice. Néanmoins, ces opérations comptables sont analysées de près par l’administration fiscale, qui impose des conditions précises pour la constitution de provisions pour charges ou de produits constatés d’avance.

Par ailleurs, si le constructeur automobile devient propriétaire des frais de développement et outillages spécifiques in fine, la comptabilisation de tels passifs n’est acceptée que de manière très limitée par l’administration fiscale.

Si le montant de la vente est inférieur aux coûts de fabrication (des études et outillages spécifiques), majoré d’une marge et que le constructeur s’engage à payer cette différence (par exemple via le prix des pièces), il est possible pour l’équipementier d’inscrire une créance à hauteur de cette différence à l’actif. Dans ce cas, des conditions précises sont imposées par l’administration fiscale. Au cas contraire, la perte devra être comptabilisée l’année du transfert de propriété.

Si la fabrication de ligne de production devant être transférée au constructeur n’est pas achevée à la date de clôture, l’équipementier inscrira les coûts à l’actif du bilan, à savoir dans les stocks en encours de production. S’il prévoit des pertes résultant de la cession des frais de développement et outillages spécifiques, il sera tenté de déprécier cet actif et de réduire son assiette fiscale. Ces dépréciations d’encours de production ne sont reconnues par l’administration fiscale que de manière limitée. A ce titre l’approche défendue par la Cour fédérale des finances (« Bundesfinanzhof ») est très controversée.

Auteur

Jean-Marc Fournier