Prêts d’une société à son actionnaire : enjeux, risques et bonnes pratiques

Il est très courant qu’un actionnaire emprunte de l’argent à sa propre société. Cette démarche est souvent préférée à un emprunt conventionnel, car elle permet certaines facilités et peut être mise en place très rapidement. Outre ces avantages, ce type d’emprunt peut également présenter des avantages fiscaux. A la différence du dividende, l’octroi d’un prêt n’est pas soumis à l’impôt sur le revenu et les intérêts payés par l’actionnaire sont déductibles de son revenu imposable (dans les limites prévues par la législation fiscale). Ce type de transaction implique cependant des risques fiscaux importants que les entreprises et les actionnaires se doivent de connaître.

Prêts d’une société à son actionnaire et le principe dit « de pleine concurrence »

Pour comprendre la nature du risque, il convient de rappeler que de manière générale, les transactions entre un actionnaire et sa société doivent respecter le sacrosaint principe dit « de pleine concurrence », qui impose que toute relation entre un actionnaire et sa société doit s’effectuer aux mêmes conditions que si elles étaient réalisées entre tiers indépendants. L’actionnaire ne peut donc pas se servir dans sa société comme s’il s’agissait de son propre porte-monnaie.

Ce sujet oppose depuis plusieurs années les contribuables aux autorités fiscales et le Tribunal fédéral a déjà eu à se prononcer à plusieurs reprises sur la question[1]. Ses décisions bien que portant sur des cas spécifiques, permettent de dégager les différents éléments sur lesquels une attention particulière doit être portée.

Ainsi, lorsque la société accorde un prêt à son actionnaire, les conditions d’octroi de ce prêt doivent être similaires à celles que l’actionnaire aurait obtenues en empruntant, par exemple, auprès d’une banque. Si tel n’est pas le cas, par exemple parce qu’il n’a jamais été prévu de remboursement par l’actionnaire, les autorités fiscales peuvent considérer que le prêt n’en est pas réellement un, qu’il est « simulé » et en concluent que finalement, l’actionnaire souhaitait prélever définitivement de la substance dans son entreprise, ce qui équivaut à une distribution de dividende. A ce stade, les autorités fiscales peuvent décider de requalifier tout ou partie du prêt en tant que dividende.

Quels sont les risques fiscaux en lien avec une requalification du prêt en dividende ?

En cas de requalification du prêt en dividende, des conséquences apparaissent tant au niveau de la société qu’au niveau de l’actionnaire. C’est toutefois l’actionnaire qui subit les conséquences financières les plus importantes.

Risques fiscaux des prêts d’une société à son actionnaire au niveau de la société

Pour la société, cela aura principalement un impact au niveau du capital imposable (le capital imposable est réduit du fait de la fiction d’une distribution de dividende). En outre, le résultat peut également être impacté, par exemple si des intérêts sur le prêt ont été payés par l’actionnaire, car ils seront retirés du bénéfice imposable. Dans le cas où le prêt aurait été amorti par la société, l’amortissement sera alors rajouté au bénéfice imposable, car la charge n’est pas justifiée par l’usage commercial.

De plus, un impôt anticipé à hauteur de 35% du montant du prêt considéré comme fictif pourrait devoir être payé selon les cas à l’Administration fédérale des contributions. La récupération de cet impôt sera examinée au cas par cas, en tenant compte de la situation personnelle de l’actionnaire, ce qui fait peser un risque supplémentaire sur ce dernier.

Risques fiscaux des prêts d’une société à son actionnaire au niveau de l’actionnaire

Du côté de l’actionnaire, l’intégralité ou la partie du prêt qui est considérée comme un dividende sera soumise à l’imposition au titre de revenu de la participation, entraînant une augmentation de sa charge fiscale. Une imposition partielle de ce montant est toutefois possible pour autant que les conditions pour une imposition privilégiée soient remplies. En outre, et comme évoqué ci-avant, la récupération de l’impôt anticipé n’est pas assurée.

Comment limiter le risque que le prêt soit requalifié en dividende ?

L’octroi d’un prêt à l’actionnaire n’est pas à proscrire en toutes circonstances. Le respect de certaines règles ainsi que la mise en place d’un cadre juridique (contrat de prêt par exemple) permettent de limiter les risques de requalification.

La requalification d’un prêt en dividende dépend toujours de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce. Il n’existe ainsi pas de règles incontestables émanant des autorités fiscales qui permettent de s’assurer de l’inexistence de risques de requalification. Il s’agit toujours de la prise en compte globale de plusieurs indices, qui n’ont pas tous le même poids pour les autorités. L’un des indices essentiels est lié à la capacité financière de l’actionnaire. En effet, s’il est évident lors de l’analyse de sa fortune et de ses revenus, qu’aucun tiers ne lui aurait accordé de prêt, le prêt de la société s’apparentera très certainement à un dividende plutôt qu’à une créance ayant vocation à être remboursée. Un autre exemple flagrant menant à une requalification quasi-automatique par les autorités fiscales est lorsque le prêt à l’actionnaire est amorti par la société, car cela indique clairement que la société a renoncé à faire valoir son droit au remboursement et a donc souhaité avantager son actionnaire.

C’est donc immanquablement l’intention réelle des parties qui primera sur les modalités convenues entre la société et son actionnaire. Cette intention s’exprime par une multitude d’indices que nous avons répartis ci-dessous, au titre de guide de bonne conduite et des comportements à éviter à tout prix afin de circonscrire un maximum les risques : 

À éviter absolument

  • Amortissement du prêt (abandon de créance)
  • Capacité financière (revenu et fortune) insuffisante de l’actionnaire pour l’obtention du prêt et absence de sûretés malgré la solvabilité défavorable de l’actionnaire
  • Absence d’intérêts payés par l’actionnaire
  • Capitalisation des intérêts sur le montant du prêt (non-paiement des intérêts)
  • Utilisation du prêt par l’actionnaire afin de financer son train de vie (crédit à la consommation) ou de rembourser d’autres dettes privées
  • Disproportion manifeste entre le montant du prêt accordé et les autres actifs de la société (y.c. les réserves latentes)
  • Augmentation continuelle et régulière du montant du prêt sans que l’actionnaire ne rembourse

Code de bonne conduite

  • Capacité financière saine de l’actionnaire et de la société :
  • La société a les moyens d’octroyer le prêt
  • L’actionnaire paye les intérêts prévus
  • Comptabilisation du prêt dans la société
  • Mise en place d’un contrat entre la société et l’actionnaire
  • Fixer un taux d’intérêts adapté (lettre-circulaire publiée chaque année par l’AFC avec des taux « safe harbour »)
  • Mention dans les buts de la société
  • Réelle volonté de l’actionnaire de rembourser le prêt au moment de son octroi
  • Détermination d’un plan de remboursement

Le sujet du prêt à l’actionnaire représente encore et toujours un sujet très sensible et ses modalités doivent être analysées avec la plus grande attention. Il est toutefois possible de se protéger en appliquant les bonnes pratiques. Notre équipe vous conseille pour vous éviter de tomber dans les écueils de telles transactions.

Article rédigé par Emilien Gigandet, Isabelle Bugnon et Timothée Pirat

[1] Par exemple, arrêt du Tribunal fédéral du 16 novembre 2021 2c_678/2020 et références citées.

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