Le peuple suisse dit oui au projet d’imposition minimale de l’OCDE des multinationales

Le peuple suisse vient d’approuver l’introduction d’une base constitutionnelle autorisant l’imposition minimale des entreprises à 15%. Un impôt complémentaire verra le jour par voie d’ordonnance temporaire en reprenant pour l'essentiel les règles GloBE (Global Anti-Base Erosion Model Rules – Pillar II « Pilier II ») approuvées conjointement par l’OCDE et le G20 le 14 décembre 2021. Le Conseil fédéral devra toutefois soumettre dans un délai de six ans une loi qui viendra abroger cette ordonnance.

Rappel des enjeux de Pilier II

Les règles GloBE s'appliquent aux groupes multinationaux dont les revenus consolidés dépassent le seuil de 750 millions d'euros. Ce seuil est identique à celui qui déclenche l’obligation pour les multinationales de déposer une déclaration pays par pays (CbCR).

Il est bon de rappeler que cette nouvelle réglementation fiscale ne concerne ni les PME et les groupes d’entreprises suisses avec un chiffre d’affaires consolidé inférieur au seuil précité, ni les PME et les groupes d’entreprises suisses actifs uniquement sur le territoire suisse. 

En revanche, dès lors que le seuil du chiffre d’affaires consolidé est atteint, les entreprises suisses détenues par un groupe étranger, les entreprises suisses qui détiennent au moins une filiale à l’étranger et les entreprises suisses qui exercent leur activité par le biais d’une succursale à l’étranger, seront toutes soumises à une imposition minimale de 15%, même si leur taux d’imposition effectif est actuellement inférieur à 15%. En Suisse, quelque 200 entreprises et un nombre important de filiales suisses de groupes étrangers dépassant cette limite de chiffre d'affaires seront donc concernés.

L’imposition minimale entrera prochainement en vigueur au niveau international. Si la Suisse avait choisi de ne pas intégrer les règles GloBE dans sa propre législation, les autres pays les ayant adoptées auraient été autorisés à prélever le différentiel d’impôt entre le taux d’imposition minimale de 15% et le taux effectif d’impôt de l’entité suisse concernée, ceci au détriment de la Suisse. 

Le peuple suisse a très bien compris les enjeux de la votation en permettant aux autorités fiscales de prélever un impôt complémentaire non seulement auprès des sociétés suisses assujetties à Pilier II (impôt complémentaire suisse), mais aussi auprès des sociétés étrangères, sans rattachement fiscal avec notre pays. Pour ces dernières, les règles GloBE autorisent en effet la Suisse à prélever un impôt complémentaire égal au différentiel entre le taux de 15% et le taux d’impôt effectif de l’entité étrangère constitutive du groupe (impôt complémentaire international).  

En proposant l’adoption d’un Arrêté fédéral en décembre 2022, le Parlement a clairement anticipé les enjeux fiscaux et financiers de Pilier II pour notre pays tout en voulant mettre les entreprises suisses à l’abri des procédures fiscales supplémentaires à l’étranger. Une nouvelle version du projet d’ordonnance a été publiée le 24 mai 2023 et soumise à consultation. La date d’entrée en vigueur de Pilier II est prévue le 1er janvier 2024, pour autant que cette date soit également retenue par les autres pays, et la première « déclaration d'information » GloBE devrait être déposée le 30 juin 2026 au plus tôt.

La nouvelle réglementation Pilier 2

La mise en œuvre de Pilier II est complexe. Les groupes multinationaux sont obligés de comprendre au plus vite les règles GloBE, d’anticiper les impacts fiscaux, d’ajuster les notes aux états financiers consolidés du groupe et de se conformer au mieux aux procédures de déclaration et de taxation fixées par la nouvelle réglementation fiscale au niveau international. Le suivi de l’évolution de la législation fiscale suisse et celle des pays où le groupe opère, sera aussi un enjeu important dans le but d’anticiper les changements et d’adapter les plans d’actions du groupe. Pilier II amène ainsi une nouvelle dimension à la gouvernance fiscale des grands groupes internationaux qui doivent gérer des risques et controverses fiscales croissantes. 

Si on devait résumer les principales étapes de la mise en œuvre de Pilier II par les groupes concernés, on retiendrait les actions suivantes :

Actions

Commentaires

Vérifier si le groupe entre dans le champ d’application de Pilier II

  • Revue du CbCR
  • Vérification du seuil de 750 millions d'euros de chiffre d’affaires annuel consolidé sur deux des quatre exercices précédents

Identifier les entités constitutives du groupe dans chaque pays

  • Revue de l’organigramme du groupe
  • Identification des entités exclues de Pilier II

Identifier les régimes de protection GloBE provisoires et les régimes de protection permanents prévus par Pilier II (Safe Harbour Rules)

  • Par exemple, identification, sur la base du CbCR, des situations où la déduction de substance pourrait s’avérer être supérieure au bénéfice GloBE

Vérifier si le groupe établit ses comptes consolidés selon une norme comptable reconnue au niveau international (exemple : IFRS)

  • Le taux d’imposition minimale ne se calcule pas sur le bénéfice ressortant des comptes statutaires établis selon le code des obligations mais bien sur le bénéfice IFRS, corrigé des règles GloBE, de chaque entité constitutive du groupe.
  • Les ajustements GloBE peuvent conduire à des différences non négligeables entre le bénéfice GloBE et le bénéfice imposable selon le droit fiscal suisse.

Appliquer les corrections prévues par GloBE pour calculer les bénéfices déterminants

Revue du résultat annuel consolidé IFRS et identification en particulier :

  • des transactions internes au groupe qui sont traitées de la même manière que les transactions externes
  • des revenus de participations qualifiées qui sont exclus du bénéfice déterminant
  • des gains et pertes liés aux opérations de restructuration du groupe qui ne sont pas pris en compte
  • de certains gains ou pertes en monnaie étrangère qui sont retraités des résultats découlant du transport maritime international qui sont exclus de l’imposition minimale  

Identifier les impôts déterminants selon les règles GloBE 

  • En Suisse, en font partie notamment l’impôt sur le bénéfice, l’impôt sur le capital et, en partie, l’impôt anticipé en tant qu’impôt à la source. Il convient également de prendre en compte les impôts différés actifs et passifs ressortant des comptes consolidés.

Déterminer le taux d’imposition effectif des entités constitutives du groupe par pays 

  • Comparaison de la somme des impôts déterminants dans un pays avec la somme des bénéfices déterminant de ce même pays

Calculer le pourcentage de l’impôt complémentaire 

  • L’impôt complémentaire est égal au différentiel entre le taux d’imposition minimale de 15% et le taux d’imposition effectif de l’entité concernée.

Calculer le montant de l’impôt complémentaire sur la base du bénéfice excédentaire

  • Le bénéfice excédentaire correspond au bénéfice GloBE réduit en fonction des critères de substance.
  • La réduction est calculée en appliquant aux charges salariales et aux actifs corporels un pourcentage défini par la réglementation GloBE.

La complexité du système fiscal suisse quant à la mise en œuvre des règles GloBE

Selon les règles GloBE, le taux d'imposition effectif de chaque juridiction est calculé en agrégeant les revenus et les impôts de toutes les entités constitutives du groupe rattachées à cette juridiction.  

Le système fiscal suisse ajoute un niveau de complexité supplémentaire à la mise en œuvre des règles GloBE. On relève tout d’abord le fait que chaque canton est l’autorité de taxation pour prélever l’impôt cantonal et fédéral des sociétés domiciliées dans le canton. Les cantons étant également les autorités de taxation pour le nouvel impôt complémentaire, le projet d’ordonnance fixe les règles d’identification du canton qui effectue la taxation pour l’ensemble du groupe d’entreprises domiciliées en Suisse.   

De plus, le taux d’imposition effectif d’une société active dans plusieurs cantons est influencé par les règles de répartition intercantonale retenues pour allouer son bénéfice et son capital entre les cantons, du fait que certains cantons ont des taux d'imposition effectifs inférieurs au seuil de 15 %, alors que d'autres ont un taux d'imposition effectif supérieur à 15 %.

Finalement, l’imposition minimale de 15% pourrait ne pas être atteinte même dans les cantons dont les taux d’imposition dépassent 15%. Une telle situation pourrait se produire notamment lorsqu’une société bénéficie du régime de la Patent Box qui prévoit une imposition privilégiée des revenus de brevets.

Les notes aux états financiers consolidés

L’IASB a publié le 23 mai 2023 un amendement à la norme IAS 12 qui prévoit la prise en compte des impacts fiscaux liés à la mise en œuvre de Pilier II.

Sur cette base, les groupes internationaux devront prendre en considération les impacts de la nouvelle réglementation fiscale internationale déjà au moment de la rédaction des notes aux comptes clos au 31 décembre 2023.  

D’autres aspects liés aux impôts différés devraient faire l’objet d’une analyse spécifique avant la prochaine clôture des comptes.

En conclusion

Pilier II redessine le paysage fiscal international. Les nouvelles réglementations fiscales obligent les administrations fiscales, les contribuables et les conseillers fiscaux à modifier leur manière d’aborder les implications fiscales concernant en particulier les groupes internationaux. Il est important de se préparer dès maintenant à l’implémentation de ces nouvelles règles tant au niveau Suisse qu’au niveau international. Mazars se tient à vos côtés !

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