Rappel de l'arrêt du Tribunal fédéral - ATF 149 II 158
L'affaire (ATF 149 II 158) portée devant le tribunal peut être résumée comme suit : dans le cadre de la liquidation d'une société, une partie du bénéfice de la vente d'un immeuble a été transférée à l'actionnaire. L'actionnaire avait vendu le bien immobilier à la société il y a plusieurs années à un prix inférieur à la valeur du marché. L'avantage reçu par l'actionnaire pendant la liquidation a été considéré par les autorités fiscales comme un dividende de liquidation ordinaire et a été soumis à l'impôt sur le revenu.
Toute la question de cette décision portait sur la qualification de l'apport effectué lors de l'achat initial du bien par l'actionnaire à la valeur préférentielle et sur la question de savoir si un tel apport dissimulé pouvait être remboursé en franchise d'impôt sur le revenu lors de la liquidation de la société.
En effet, l'article 20 al. 3 LIFD prévoit que le remboursement des apports est traité comme un remboursement du capital, c'est-à-dire sans impôt sur le revenu.
Pratique antérieure de l'AFC
Jusqu’à cette décision, l'AFC était d'avis que seuls les apports qu'elle reconnaissait comme tels pouvaient être remboursés sans impôt sur le revenu. Cela signifie que seules les réserves d'apport en capital (RAC) décrites dans la loi fédérale sur l'impôt anticipé (LIA) et remplissant les conditions de la LIA peuvent être remboursées à un actionnaire individuel en franchise d'impôt.
Ces RAC doivent remplir deux conditions pour être reconnues par l'AFC : 1) l'apport est effectué par un actionnaire direct, et 2) l'apport doit être enregistré sur un compte spécifique dans les états financiers de la société.
La deuxième condition exclut toute possibilité de reconnaissance du RAC en cas d'apports dissimulés. Du point de vue de l’impôt anticipé, cette condition est explicitement mentionnée dans la loi et ne peut être remise en cause.
Toutefois, la Cour a analysé l'article 20 alinéa 3 LIFD et a conclu qu'une telle condition « comptable » n'était pas mentionnée dans l'article exonérant de l'impôt sur le revenu. La Cour a décidé que dans la situation spécifique, le dividende de liquidation en question était en fait le remboursement d'un apport en capital et devait être exonéré de l'impôt sur le revenu.
Il s'agit là d'un rejet important de la pratique de l'AFC consistant à appliquer les conditions légales de la retenue à la source par analogie à l'impôt sur le revenu. Elle ouvre la voie à un traitement différent des remboursements d'apports dissimulés du point de vue de l'impôt anticipé et du point de vue de l'impôt sur le revenu des personnes physiques.
Nouvelle position de l'AFC
Suite à cette décision, la réaction de l'AFC était très attendue. Le 22 mars 2024, l'AFC a publié sa position sur l'arrêt du Tribunal fédéral.
En résumé, l'interprétation du Tribunal fédéral du point de vue de l'impôt sur le revenu est la suivante :
- Un remboursement fiscalement neutre n'est possible que dans le cadre d'une liquidation.
- Un tel remboursement neutre ne peut entraîner une sous-imposition, c'est-à-dire si l'apport dissimulé a été effectué dans le cadre d'une réorganisation fiscalement neutre (telle qu'une conversion, une fusion, une transformation, etc.)
- La charge de la preuve d'une telle contribution incombe au contribuable.
Par souci d'exhaustivité, nous vous renvoyons à la déclaration officielle de l'AFC sur son site Internet.
Qu'est-ce qui va changer ?
La prise de position de l'AFC adopte une approche restrictive, se limitant au cas concret tranché par le Tribunal fédéral. En particulier, il est compréhensible que les réserves latentes doivent être réalisées dans les comptes de la société à rembourser, mais pourquoi exclusivement dans le cadre d'une procédure de liquidation ?
Quoi qu'il en soit, la reconnaissance des apports dissimulés ne posait avant cette décision pas de problème majeur. En effet, l'AFC refusait de les reconnaître du point de vue de l'impôt sur le revenu. À noter que le Tribunal fédéral a indirectement confirmé que la condition comptable explicitement inscrite dans la loi est une condition pour la reconnaissance de tels RAC d’un point de vue de l’impôt anticipé. Toutefois, d'un point de vue purement fiscal, lorsque l’on considère un apport dissimulé, il pourrait être intéressant que la valeur au moment de l'apport soit reconnue par les autorités fiscales. De cette manière, l'apport dissimulé (qui pourrait être soumis à un droit de timbre) est officialisé et il existe une preuve claire de ce montant au moment où l'apport dissimulé est effectué et remboursé à l'actionnaire personne physique.
Cette nouvelle décision a modifié la pratique de l'AFC et de nombreuses questions restent en suspens. Les autorités fiscales cantonales sont responsables de la perception de l'impôt sur le revenu et, avec 26 cantons, leurs pratiques respectives ne sont pas encore connues. Auront-elles la même interprétation restrictive que l'AFC ? Exigeront-elles que le remboursement soit effectué au même actionnaire que celui qui a effectué l'apport caché pour bénéficier de l'exonération de l'impôt sur le revenu ou non ?
En tout état de cause, si un apport dissimulé important est prévue ou a même été réalisée dans le passé et que l'actionnaire est une personne physique, il pourrait être intéressant de faire reconnaître formellement cette contribution par un ruling fiscal ou à tout le moins de conserver toutes les pièces justificatives prouvant la valeur de la contribution afin de pouvoir l'invoquer le moment venu.
Article rédigé par Isabelle Bugnon et Dominique Roggo