Swiss Tax Alert - Février 2017 : Réforme de l'imposition des entreprises III

Rejet par le peuple suisse de la Réforme de l’Imposition des Entreprises III : Tour d’horizon des prochaines grandes étapes pour la Suisse

Le peuple suisse a rejeté  le texte de loi fédérale sur la Réforme de l’Imposition des Entreprises III (RIE III) lors de la votation populaire du 12 février 2017. Cette réforme de la fiscalité des entreprises, l’une des plus importantes de cette dernière décennie, visait en priorité à supprimer les statuts fiscaux privilégiés octroyés à certaines entreprises (holdings, sociétés de domicile et sociétés mixtes) - dans la mesure où la fiscalité suisse des entreprises n’était plus conforme aux standards internationaux – et à les remplacer par des nouvelles mesures fiscales, dont entre autres la patent box, conformes aux normes OCDE.

Les conséquences d’un tel refus par le peuple sont difficilement mesurables à l’heure actuelle. Le paysage fiscal suisse se trouve donc à un tournant de son histoire et nous avons tenté de cerner au travers de trois grands axes les implications et les conséquences du refus de la RIE III en Suisse.

Un nouveau projet de réforme alternatif ?

Pour rappel, il aura fallu cinq ans de négociation entre les diverses parties prenantes pour aboutir au texte actuel de la réforme RIE III.  Or, la Suisse a jusqu’à fin 2018 pour se conformer aux exigences internationales. Au niveau du Parlement suisse, le processus législatif devra donc être relancé d’urgence afin qu’un nouveau projet « alternatif » voie le jour. Cette nouvelle réforme de l’imposition des entreprises tendra probablement vers un consensus plus marqué entre les intérêts des partis politiques de droite et de gauche. En effet, il serait tout à fait envisageable que certaines des mesures qui avaient été écartées lors des discussions entre les deux chambres fédérales sur l’actuel projet de RIE III fassent à nouveau l’objet de débats, comme par exemple :

  • l’introduction d’une imposition des gains en capital réalisés sur des titres ;
  • le relèvement du taux applicable à la procédure d’imposition partielle des dividendes à 70% ;
  • la suppression de la mesure visant l’impôt sur le bénéfice corrigé des intérêts sur le capital propre ; ou
  • une définition plus restreinte de la notion « patent box ».

L’élaboration de ce nouveau projet de loi prendra donc du temps et il est pour l’heure difficile d’anticiper un calendrier pour sa mise en œuvre. Tout dépendra donc de la réactivité du Parlement suisse et des consensus politiques trouvés. Selon la gauche qui réclame déjà à ce stade une version « allégée » du projet de RIE III, il serait tout à fait possible pour le Parlement suisse d’élaborer rapidement un nouveau projet de réforme avec une entrée en vigueur du texte en 2019. A noter que cette projection pourrait être envisageable aux conditions que le nouveau projet de loi reçoive directement l’aval des deux chambres du Parlement et qu’aucun référendum (votation populaire) ne soit demandé. Selon le département fédéral des finances à Berne, un délai de deux à trois ans serait quant à lui nécessaire pour simplement élaborer un nouveau message à présenter aux Chambres fédérales.  

Dans ce contexte, la Suisse ne devra pas perdre de vue que la communauté internationale n’attendra probablement pas - dans le meilleur des cas - 2019 (au niveau cantonal – délai de transition probable de deux ans soit 2021) pour qu’elle abolisse ses régimes fiscaux cantonaux. Afin de respecter ses engagements pris envers l’UE, le Parlement Suisse n’aura donc d’autre choix que d’abolir dans l’urgence ses régimes fiscaux privilégiés par l’introduction d’un arrêté fédéral urgent selon toute vraisemblance.

Quelle carte à jouer pour les cantons ?

Dans l’immédiat et sans pouvoir disposer des outils prévus par la RIE III, les cantons suisses auront pour seule marge de manœuvre la réduction de leur taux d’imposition des entreprises. Cette mesure ne sera toutefois pas sans conséquences pour ces derniers. En effet, une forte concurrence fiscale s’installera de manière quasi inévitable, créant des inégalités notables entre des cantons qui sont déjà dotés d’une fiscalité des entreprises attractive, comme le canton de Zoug (actuellement à 14,6%) et ceux à forte fiscalité comme les cantons de Genève et Vaud (actuellement à 24,6%, respectivement 22,09%). Sans les mesures de compensation fédérale en faveur des cantons qui étaient prévues par la RIE III, il pourrait être difficile pour ces deux cantons mais également pour Zurich ou Berne de rivaliser avec une fiscalité aussi attractive que celle déjà prévue par certains cantons. Sur le plan cantonal, les Vaudois ont déjà accepté le 20 mars 2016 à 87,12% un projet de loi cantonal qui fixe un taux d’imposition du bénéfice des entreprises à 13,79%. A Genève, les citoyens sont en principe appelés à voter sur ces mesures fiscales courant de l’automne 2017. En cas de rejet de la RIE III, le Conseil d’Etat genevois a déjà prévenu qu’il retirait ses projets articulés autour du projet fédéral, sans donner de nouvelle date pour une prochaine votation cantonale.

Sur le plan international, les récents développements annoncés par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, relatifs à une baisse importante d’impôts pour les entreprises, ainsi que d’autres mesures pour rester concurrentiel vis-à-vis des autres pays, viendront sensiblement peser dans la balance lors de prise de décisions sur le maintien de leurs activités en Suisse. Si la Suisse ne s’adapte pas rapidement au contexte international, elle perdra de son attractivité et ne sera plus un choix privilégié et considéré pour ces entreprises.

Quels enjeux au niveau international ?

Afin de compenser la perte des régimes fiscaux cantonaux, la RIE III avait pour but l’introduction de nouvelles mesures fiscales euro-compatibles tout en satisfaisant aux standards imposés par l’OCDE dans sa lutte contre les pratiques fiscales dommageables. La compétitivité économique de la Suisse en était donc préservée.

Toutefois, sans une réforme à mettre en place dans l’immédiat, la Suisse reste soumise à une forte pression de la part de l’UE et de l’OCDE auprès desquelles elle s’est engagée à adapter sa politique fiscale d’ici 2019.

Des mesures contre la Suisse telles que son inscription sur la liste noire des paradis fiscaux et/ou des mesures de rétorsion, comme par le passé, sont donc envisageables et doivent être prises au sérieux. A titre d’exemple, l’Italie n’a supprimé que très récemment, en 2016, la Suisse de sa liste noire relative aux sociétés suisses bénéficiant de privilèges fiscaux. L’Italie s’était en effet engagée à la retirer sous condition que ses régimes fiscaux privilégiés soient abolis ou adaptés pour être conformes aux normes internationales. Sans réforme de sa fiscalité et abolition de ses régimes fiscaux, la Suisse s’expose à de nouvelles contre-mesures de certains pays limitrophes notamment.

Du côté de l’Union européenne, une directive européenne a été adoptée courant 2016 afin de lutter contre les pratiques d’évasion fiscale. Cette directive prévoit six règles qui constituent le nouveau train de mesures à disposition des Etats. L’une d’entre elles se réfère aux sociétés étrangères contrôlées (SEC) ou CFC (Controlled Foreign Companies) et prévoit que les bénéfices des multinationales européennes - installées par exemple en Suisse - pourront être taxés auprès de la société mère. Les Etats membres ont jusqu’au 31 décembre 2018 pour mettre en place cette directive. Cette directive qui ne s’applique pas directement à la Suisse pourrait donc complexifier un peu plus sa prise de position future sur sa politique fiscale.

Nos conseils pour votre entreprise 

Sans une réforme de l’imposition des entreprises, les enjeux et défis que la Suisse va devoir relever ces prochains mois, sont cruciaux. Elle devra en effet être réactive et proposer des solutions équitables relevant d’un consensus politique et économique avec ses différents acteurs suisses. En effet, elle devra dynamiser rapidement son paysage fiscal en élaborant un nouveau projet de réforme sur l’imposition fiscale des entreprises lequel devra à la fois être attractif pour les entreprises et consensuel pour les partis politiques, cela à l’horizon 2018/2019 si elle veut tenir ses promesses envers l’UE et être en ligne avec les règles OCDE.

Du côté des entreprises suisses, ces dernières ne devront pas prendre de décisions trop hâtives afin de bien peser les intérêts mis en balance entre le choix de quitter la Suisse pour rechercher une attractivité fiscale ailleurs ou de profiter de la stabilité politique et économique de la Suisse ainsi que de sa capacité innovatrice. Dans ce contexte fiscal encore peu certain, nous ne pouvons que recommander aux entreprises suisses et étrangères de rester bien informées et attentives aux futurs développements qui devraient avoir lieu très prochainement en Suisse. 

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Swiss Tax Alert - RIE III - Non

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