Le contexte de la loi REEN
Il est désormais établi que l’impact écologique du numérique est majeur. Il représente aujourd’hui 2,5% de l’empreinte carbone et 10% de la consommation d’électricité en France1. Cela s’explique principalement par la fabrication des équipements utilisés qui concentrent environ 80% de l’impact2 écologique. Selon le rapport de la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique du Sénat publié en juin 2020, si rien n’est fait, le numérique pourrait être d’ici 2040 à l’origine de 24 millions de tonnes équivalent carbone, soit environ 7% des émissions de la France3.
Le numérique responsable vise à réconcilier la croissance continue des usages numériques, la transformation digitale des entreprises et des organisations, et les impératifs de réduction des émissions de GES en modifiant les pratiques actuelles. Il repose sur trois volets : environnemental, économique et social. Les collectivités sont fortement concernées par ce dernier volet qui traite notamment des questions d’accessibilité des services numériques pour les usagers.
C’est dans ce contexte qu’a été adoptée la loi REEN en novembre 2021 qui prévoit notamment l’obligation pour les communes et EPCI (Établissement Public de Coopération Intercommunale) de plus de 50 000 habitants d’élaborer d’ici janvier 2023 un programme de travail comportant une cartographie des acteurs et des premières actions mises en œuvre. Cette étape est le point de départ pour aboutir d’ici janvier 2025 à une stratégie numérique responsable, qui devra ensuite être évaluée annuellement. La stratégie numérique responsable devra inclure : une mesure de l’empreinte environnementale du système d’information, un plan d’action ainsi que des indicateurs de suivi.
Cette obligation comporte plusieurs enjeux pour les collectivités :
- en tant que structures publiques, elles doivent faire preuve d’exemplarité en matière de réduction des émissions de GES ;
- les stratégies qui seront définies doivent prendre en compte les impératifs liés aux activités de relation usagers, notamment ceux concernant la lutte contre la fracture numérique ;
- toutes les collectivités n’ont pas la même maturité sur le sujet ;
- les communes et EPCI doivent également œuvrer pour l’attractivité de leur territoire, dont elles sont actrices de la transformation numérique.
Dans ce contexte, comment les organisations concernées peuvent-elles définir une stratégie numérique responsable réaliste et efficace ?
Les enjeux à prendre en compte pour l’élaboration d’une stratégie numérique responsable
Pour définir une stratégie numérique responsable, il est nécessaire de disposer d’un état des lieux basé sur un bilan des émissions de GES générées par le SI. Ce bilan servira de point de départ à l’élaboration d’une stratégie. C’est la raison pour laquelle la loi REEN impose également aux organisations de réaliser un bilan de leurs émissions pour janvier 2023. La mesure de l’empreinte carbone est obligatoire pour pouvoir identifier les principaux facteurs de transformation, déterminer des objectifs réalistes, piloter et suivre les impacts des actions qui seront lancées. Un premier enjeu pour les collectivités est donc de parvenir à réaliser ces mesures car une empreinte demeure difficile à quantifier de manière précise, notamment parce que les bases de données de référence ne sont pas toutes exhaustives.
Plusieurs méthodes permettant de mesurer l’impact du SI sont en cours d’élaboration. La clé est d’être capable d’avoir un point de départ en matière de mesure, de le partager avec les parties prenantes impliquées et de s’en tenir à la même méthodologie au fil du temps pour suivre les progrès.
Les bilans découpent de manière classique les émissions en trois niveaux :
- Scope 1 : émissions directes
- Scope 2 : émissions indirectes liées aux consommations énergétiques
- Scope 3 : émissions indirectes
Dans le cadre du numérique responsable, il est essentiel de prendre également en compte le scope 3 dont relèvent les principaux postes d’émission tels que l’hébergement des données, ou encore l’achat et l’utilisation de matériel. Ces mesures devront par la suite être actualisées et affinées grâce à l’amélioration des méthodologies et l’ajout d’indicateurs. D’autre part, il est judicieux de compléter ce bilan quantitatif des émissions par une analyse plus qualitative de la maturité NR de l’organisation. L’objectif de cette étude sera de déterminer le niveau de connaissance et de prise en compte des bonnes pratiques numérique responsable dans les objectifs stratégiques et les différentes activités de la collectivité.
Ensuite, le numérique responsable étant un sujet relativement récent et technique, il est nécessaire que le personnel des organisations s’approprie ces questionset se forme afin de développer l’expertise interne qui permettra de mener à bien les travaux et de parvenir à des résultats en adéquation avec le contexte de la collectivité. Une stratégie numérique responsable a des impacts sur l’ensemble des agents, des directions et services de la collectivité. Un enjeu supplémentaire est donc de parvenir à mobiliser l’ensemble des acteurs afin que les objectifs, la responsabilité des actions et leur réussite soient partagés. L’erreur serait en effet que la stratégie soit perçue comme un projet interne à la DSI dont elle serait la seule responsable ou qui apporterait uniquement des contraintes aux autres acteurs de l’organisation.
Enfin, comme pour toute stratégie, il est important que les objectifs soient adaptés au contexte de la collectivité et réalistes. Cependant, dans un contexte d’urgence de réduction des émissions de GES et dans une optique d’exemplarité, les stratégies adoptées devront néanmoins être suffisamment ambitieuses pour obtenir des résultats.
Une stratégie numérique responsable à envisager de manière systémique
Au-delà de ces enjeux, pour être efficace, une stratégie numérique responsable doit également être pensée de manière globale pour prendre en compte de nombreuses dimensions et s’intégrer à la stratégie de l’organisation. Elle doit être conçue en cohérence et se refléter dans :
- le projet de service de la DSI ainsi que les choix techniques et stratégiques afin d’éliminer les orientations potentiellement contradictoires et garantir la prise en compte du numérique responsable. En raison de son expertise, la DSI peut être amenée à porter le sujet du numérique responsable en interne auprès des différentes directions. Une stratégie NR peut également impliquer des choix concernant les équipements utilisés et la prolongation de leur durée de vie. Un bon équilibre doit également être trouvé au regard des exigences de cybersécurité qui peuvent nécessiter des équipements, fonctionnalités, pratiques très consommatrices et qui divergent donc facilement des objectifs du numérique responsable ;
- la politique des ressources humaines, notamment pour les impacts concernant le télétravail, les actions en faveur de l’inclusion ou encore la politique RSE ;
- la politique d'achats : les marchés doivent en effet prévoir des critères de sélection des fournisseurs/prestataires liés au numérique responsable et privilégier lorsque c’est possible des équipements reconditionnés ou labellisés ;
- du fait de la responsabilité des collectivités sur leur territoire, la stratégie numérique responsable qui sera définie doit s’inscrire dans le temps et donc intégrer également des mesures de long terme, mais aussi être pensée comme ayant un impact sur l’ensemble des politiques publiques ainsi que sur la relation aux usagers du territoire. En retour, les politiques publiques devront s’adapter et se conformer à la stratégie numérique responsable de la collectivité.
Afin d’établir une stratégie numérique responsable, les organisations doivent se fonder sur une évaluation de l’empreinte de leur SI, tenir compte de l’ensemble des enjeux auxquels elles doivent faire face et adopter une approche systémique. Cependant, la réussite de la stratégie est également dépendante de sa mise en œuvre et du suivi qui en est fait.
1 2021 WENR- Etat des lieux de l’impact des systèmes d’information des organisation européennes ». Institut du Numérique Responsable, Décembre 2021. https://wenr.isit-europe.org/wp-content/uploads/2021/12/wenr2021-rapport-public.pdf.
2 2021 WENR- Etat des lieux de l’impact des systèmes d’information des organisation européennes ». Institut du Numérique Responsable, Décembre 2021. https://wenr.isit-europe.org/wp-content/uploads/2021/12/wenr2021-rapport-public.pdf.
3 CHEVROLLIER, Guillaume, et Jean-Michel HOULLEGATTE. Mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique. Rapport d’information, Senat, http://www.senat.fr/rap/r19-555/r19-5551.pdf.